Une approche noétique de l’art

En ce début de XXIème siècle, nous quittons l’ère moderne et l’ère contemporaine (du rationalisme et des objets) pour l’ère noétique, celle de l’information et de la complexité évolutive des systèmes.

La noétique appliquée à l’art est une des propositions de recherche que fait l’IAPI.

Qu’est-ce que la noétique ?

La noétique est une science de la Connaissance, une discipline alliant philosophie, métaphysique, physique complexe, physique quantique, psychanalyse, spiritualité et toute discipline plaçant la recherche de savoir, et d’information dépassant l’anthropocentrisme de notre ère post-moderne désormais en déclin. La noétique est par essence transdisciplinaire.

Marc Halévy définit ainsi la noétique : « La Noétique (du grec « noûs » : connaissance, esprit, intelligence) se concentre sur l’étude et le développement de toutes les formes de connaissance et de création qui engendrent et nourrissent la noosphère, cette « couche » de savoirs et d’informations qui couvre toute la Terre de ses réseaux. C’est « l’ensemble des arts, sciences et techniques de création, de formalisation, de partage et de prolifération des Idées. C’est le domaine de la pensée, de la connaissance, de l’intelligence ». Plus brièvement, c’est la science de l’intelligence c’est-à-dire la capacité de reliance dans toutes les dimensions. »[1]

Qu’est-ce que l’ère noétique ?

L’ère noétique fait référence à une période de l’évolution humaine hypothétique ou future, où la conscience serait la dimension centrale du développement et de la compréhension du monde. Le terme « noétique » se rapporte au domaine de la connaissance intuitive, de la conscience et des perceptions mentales supérieures.

Ce concept est souvent associé à l’idée que l’humanité évolue vers une phase où l’intelligence collective, la spiritualité, et les capacités mentales transcendantes (comme l’intuition, la télépathie, ou la sagesse universelle) surpassent les approches purement rationnelles ou matérielles. L’ère noétique suggère une transformation où les sciences et les traditions spirituelles se rejoindraient pour une compréhension plus complète de la réalité, un peu à la manière de l’unification entre science et conscience.

Cette idée est présente dans divers courants de pensée philosophiques et spirituels, tels que le mouvement noétique, qui explore les capacités inexploitées de la conscience humaine, et elle est parfois discutée dans le cadre de la philosophie de l’évolution, notamment par des penseurs comme Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), qui voyait l’évolution humaine comme dirigée vers un point culminant de conscience qu’il appelait le Point Oméga.

Dans l’ère noétique, on imagine une humanité qui aurait développé une profonde compréhension du lien entre l’individu, l’univers, et la connaissance subtile du monde, intégrant science, philosophie et spiritualité.

La noétique repose également sur l’idée d’une dynamique évolutive qui a conduit Teilhard à penser qu’il fallait considérer trois infinis au lieu de deux. L’infiniment grand (l’Univers) et l’infiniment petit (les particules atomiques) sont les deux que nous apprenons à l’école. Le troisième infini est l’infiniment complexe. Il observe que les structures se complexifient quand elles se transforment : elles s’agrègent, construisent du complexe, jusqu’au cerveau humain capable de conscience.

L’évolution va-t-elle s’arrêter ? Non bien sûr, elle va se poursuivre, mais elle va devenir de plus en plus culturelle – spirituelle. L’humanité partage tous les jours des informations, des connaissances et des idées.[2] Et c’est là que réside tout le potentiel de la recherche-création en art.

Une approche noétique de l’art

L’art est émanation des idées qui sont elles-mêmes des processus, donc en constante évolution. Si une idée est partagée, à l’inverse d’un objet, ou d’un évènement perceptif donné à voir, qui une fois partagé disparaît ou prive l’un pour faire de l’autre le seul et unique possesseur de l’objet (le cas de toute œuvre d’art possédant une valeur marchande) ; elle se décuple lorsqu’elle est transmise, elle ne se perd pas pour celui qui la partage et elle devient autant de fois plus prolifique que le nombre de cerveaux dans lesquels elle est implantée. Une idée émerge d’un processus et est un processus en constant devenir, plus elle est nourrie plus elle se développe, alors qu’un objet d’art ou un événement ponctuel n’est réduit qu’à lui-même, dans son devenir comme dans la cristallisation d’une idée dont il est le produit, le résultat. Une œuvre d’art est le fruit d’une idée certes créative mais d’une idée morte parce qu’immortalisée.

Pour aller plus loin, prenons l’exemple de l’esthétique qui est philosophiquement majoritairement basée sur le monde des Idées de Platon, des Idées immuables porteuses d’une pensée de l’Etre, pensée qui a servi l’imaginaire philosophique d’un Beau, d’un Vrai et d’un Bien idéels. Ces idéaux philosophiques auraient-ils pu être finalement au service de la glorification des Beaux-arts ? Et si l’œuvre d’art était mortifère parce que fixant un processus de création, en se mettant en quête du Beau comme idéal figé ? Cependant nous pensons qu’une idée ne peut être que si elle devient perpétuellement, portée par la complexité de son propre système.

Si nous envisagions alors de concevoir les systèmes qui nous régissent, et qui régissent l’art comme des devenirs ?

AVOIR, ETRE et DEVENIR

En art invisuel il s’agit d’être plutôt que de faire ou d’avoir, l’émancipation de la singularité est le cœur de la pratique invisuelle dans un dépassement total de l’objet marchand ou de l’idée réifiée. Dans l’ère noétique qui débute, il s’agira alors d’intégrer un nouveau dépassement : celui de l’être pour le devenir. « Avoir, être, devenir » (abandonner l’avoir pour être, et dépasser l’être pour devenir) voici les étapes que doit encore franchir l’art.

La recherche-création en art invisuel, étayée d’un socle théorique et philosophique transdisciplinaire et latéral incarne l’avenir noétique de l’art. Un art ayant dépassé les limites imposées par le champ de l’art et de la recherche en art peut alors poursuivre de façon pérenne son évolution au fil de celle de l’humanité, être un devenir en somme. La découverte ou la création de nouveaux concepts accessibles par le biais d’un rapport noétique à la connaissance devient une pratique invisuelle, une recherche active, une émanation évolutive, un système complexe pérenne.

Art invisuel et Connaissance

L’approche noétique de l’art invisuel résonne donc avec une conception où l’art ne se limite plus à l’objet matériel ou à l’expérience sensorielle, mais devient une dynamique de transmission immatérielle, un vecteur d’informations et de connaissances qui opère au-delà de la perception immédiate.

Dans cette perspective, la pratique artistique invisuelle devient un devenir : un processus vivant qui émane de l’artiste ou de sa pratique pour toucher de manière non plus seulement sensorielle, mais surtout intuitive et intellectuelle. Le dépassement de la forme devient alors la clé de la noétique artistique, où le contenu symbolique, conceptuel ou informationnel prime sur la manifestation visible.

L’art invisuel dans une approche noétique est une invitation à la révélation intérieure et à l’émergence de la connaissance. L’artiste-chercheur ou le praticien-chercheur devient alors un initiateur de processus cognitifs, une sorte de guide qui offre des stimuli permettant de co-créer le sens et les concepts.

Cela rejoint l’idée que l’ère noétique dépasse les limites des formes traditionnelles de l’art pour se situer dans l’information pure, dans l’échange d’énergies mentales, où la matière même de l’œuvre peut être dématérialisée et dépassée au profit d’une expérience mentale, de l’invisible perçu par l’esprit. Le concept même d’œuvre n’a alors plus de raison pertinente d’exister.

L’ère du devenir et de l’information en art

L’ère noétique étant aussi celle de la connaissance et de l’information pousse cette approche à son comble : la pratique invisuelle devient un médium, non plus sensoriel, mais informatif. Cette pratique explore des concepts tels que la mémoire, les réseaux de pensée collective ou l’activation d’un savoir latent. Cela rappelle la noosphère de Teilhard de Chardin (la noosphère désigne une nouvelle étape de l’évolution de la Terre où l’esprit humain devient un facteur décisif de transformation du monde. La noosphère est donc la « sphère de la pensée », ou de la conscience collective qui succède à la biosphère.), où chaque pratique pourrait agir comme une perturbation subtile dans la conscience collective, ouvrant des voies à de nouvelles compréhensions ou résonances.

Ainsi, dans l’art noétique invisuel, la recherche-création que nous pourrions alors qualifier de recherche comme pratique artistique, se transformerait en un espace informationnel à travers lequel la pensée circule, laissant de côté la matière pour se concentrer sur l’essence du devenir et de l’évolution de la conscience.


[1] Définition extraite du site internet de Marc Halévy, noetique.eu Noétique, c’est quoi? — Expertise & Prospective (noetique.eu)

[2] Site internet du Centre Teilhard de Chardin, Introduction à la pensée de Teilhard de Chardin, https://centreteilharddechardin.fr/introduction-a-la-pensee-de-teilhard-de-chardin/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *