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Socle théorique et philosophique de l’art invisuel

Quitter la tendance à l’exemplification par les pratiques dans l’art invisuel et s’attacher à le saisir et le comprendre dans son principe essentiel ou son devenir. Pour cela, il est indispensable de définir un socle théorique et philosophique dont chaque artiste pourra se saisir afin de consolider l’étayage de sa démarche et l’inscrire dans une pérennité. Ce socle ne repose pas seulement sur des pensées et des ouvrages déployés dans le champ de l’art mais des champs divers apportant de nouvelles réponses aux interrogations aporétiques de l’art. De plus, il faudra garder à l’esprit que “les livres que l’on a lus comptent beaucoup moins que ceux que l’on n’a pas lus.” (Nassim Nicholas Taleb, Le cygne noir) et qu’il en va de même pour le savoir.

Esthétique VS Philosophie de l’art

L’esthétique s’attache à des notions de goût, d’interprétation et de jugement à partir des oeuvres (donc des arts vivants et visuels) tandis que la philosophie de l’art se souciera davantage de questions métaphysiques, d’élaboration et d’analyse des concepts fondamentaux, elle se prête donc à l’étude des arts invisuels. Distinction entre la fonction interprétative de l’esthétique et la fonction analytique de la philosophie. Au sein de l’IAPI, nous aborderons une philosophie, voire une métaphysique ou encore une noétique de l’art plutôt qu’une esthétique.

Quitter la notion d’esthétique ? Quitter la notion d’artiste ? Quitter l’art ? 

Redéfinition ou abandon des concepts propres au champ restreint de l’art pour ouvrir un nouveau champ de réflexion et de construction. L’art invisuel ne peut pas se réaliser dans le monde de l’art prévisible et répétitif, il doit s’insérer dans tout champ technique, théorique ou spirituel qui lui permettrait enfin une véritable porosité transdisciplinaire et la résolution de certaines apories propres au champ de l’art. 

En quoi l’Art Philosophique et Invisuel peut-il prétendre proposer un “nouvel art”?

“Nouvel art” signifie hors arts visuels, hors arts vivants, hors Intellignece Artificielle, hors instrumentalisation humaine; un art radicalement autonome et acausal, insaisissable, informel, inattendu. 

L’art est affecté par les arts visuels et le spectacle vivant, l’art invisuel tente d’extirper l’art de toutes ces formes pré digérées mais, même au sein des réflexions qui touchent l’art invisuel, l’abandon des concepts reste difficile, la production, la forme, la sensation, si immatérielles et évanescentes soient-elles, restent chevillées à la pratique artistique. L’incertitude et l’imprévisibilité qui sont constitutives de l’art invisuel, doivent devenir familières et non plus inquiétantes pour tout un chacun.

L’Art Philosophique et Invisuel est le moyen de sauver l’Art du monde de l’art, de trouver son principe pour lui donner toute sa puissance autonome et qu’il prenne sa place dans la Vie et dans la vie de chacun, pas seulement des artistes, ni dans la vie des agents du monde de l’art, de la culture et des milieux intellectuels et élitistes. Cet art inaccessible n’est pas l’Art. L’art auquel nous avons accès via les arts visuels et vivants est grimé, faussé, altéré par des codes institutionnels, marchands et esthétiques qui le dissimulent sans cesse à sa vraie nature et aux regards. Il s’agit alors de « faire les bordures de l’art », afin de contourner l’obstacle conceptuel et institutionnel que représente l’art visuel, pour pouvoir mieux occuper un espace qui reste plus facilement abordable pour l’art invisuel. Si l’on considère que l’Art autonome et principiel que recherche l’Art Philosophique et Invisuel a pris les “commandes” de l’humanité dès les prémisses des premières productions préhistoriques (comme le suggère Markus Gabriel dans Le pouvoir de l’art), alors l’exploration et l’émancipation de la singularité de chaque individu pourrait être le lieu de dévoilement de cet Art principiel, avant tout passage à l’acte, avant le faire, dans le moment de l’être.

« Moment de l’être » signifiant un devenir, une mutation permanente, un kairos, une opportunité imprévisible, incertaine et irréductible.

Permanence ontologique ou devenir et progressivité continue ? (Marc Halévy et la conception noétique de l’avenir) Vers une permaculture de l’art ?

Permaculture de l’art

Enfin, explorer cette nouvelle « nature » de l’art nous ramène à une analogie que nous établissons entre agriculture et permaculture et art visuel et invisuel ; alors, si permaculture signifie davantage d’observation, d’intelligence et moins de gestes et d’interventions, l’instauration d’une confiance en la nature adaptable et prolifique, nous pouvons assez rapidement faire un parallèle avec l’art invisuel.

Ainsi, l’agriculture conventionnelle serait le pendant de l’art visuel, c’est à dire ayant été normée, fonctionnant via des techniques, des codes, qui ont créé un conditionnement de la nature, de ses acteurs et de ses consommateurs.

« Perma » signifiant « permanence », une permaculture de l’art permettrait de découvrir la permanence de l’art, au sens de sa nature profonde, initiale, prolifique et probablement durable. Un art sans interventionnisme, sans fabrique, qui retrouverait sa place auprès des individus, au cœur de la vie.

Cette « nature », au sens de « permanence » est ici suggérée comme un devenir perpétuel. L’art invisuel en permaculture est la graine programmée comme émergence d’elle même. Contenant tout son potentiel d’évolution et d’expansion.

Sur le plan stratégique, cette permaculture de l’art est ce que nous pourrions appeler un « chaos fertile » (5ème des 36 stratagèmes).

L’art invisuel et philosophique comme approche noétique de l’art

La noétique est une science de la Connaissance, une discipline alliant philosophie, métaphysique, physique complexe, physique quantique, psychanalyse, spiritualité et toute discipline plaçant la recherche de savoir, et d’information dépassant l’anthropocentrisme de notre ère désormais en déclin. La noétique est par essence transdisciplinaire.

Marc Halévy définit ainsi la noétique : « La Noétique (du grec ‘noûs’ : connaissance, esprit, intelligence) se concentre sur l’étude et le développement de toutes les formes de connaissance et de création qui engendrent et nourrissent la noosphère, cette ‘couche’ de savoirs et d’informations qui couvre toute la Terre de ses réseaux. C’est « l’ensemble des arts, sciences et techniques de création, de formalisation, de partage et de prolifération des Idées. C’est le domaine de la pensée, de la connaissance, de l’intelligence ». Plus brièvement, c’est la science de l’intelligence c-à-d la capacité de reliance dans toutes les dimensions. »

Nous allons démontrer ici que l’art philosophique et invisuel est une approche noétique de l’art.

Pour évoluer et perdurer, l’art doit devenir scalable, acausal et imprévisible, c’est à dire qu’il doit :

  1. quitter le modèle marchand productif et capitaliste tel que le monde de l’art l’a façonné depuis la Renaissance.
  2. si l’art reste réduit à la réalisation d’objets ou d’évènements perceptifs, il sera toujours non scalable, c’est à dire qu’il aura une capacité d’expansion et de progression limitée par les contraintes humaines, techniques, économiques, dimensionnelles, temporelles, etc… L’art philosophique et invisuel est par essence scalable, évolutif à l’infini puisque spéculatif (dans le sens de théorique, opposé à opératif)
  3. notre conception occidentale du temps et des évènements est causale, linéaire, elle conditionne donc notre capacité à concevoir de nouveaux schéma ou systèmes, elle limite nos organisations de pensées à un lien de cause à effet. Si l’on envisage les évènements de manière acausale ou synchronistique (Jung), l’instant devient
  4. être imprévisible et incertain (Nassim Taleb)

Méta art / tra atèM

L’art philosophique et invisuel pourrait également être considéré comme un méta-art : c’est à dire au-delà de l’art, ne se situant ni avant ni après mais sur un plan différent, qui accepterait de concevoir l’art d’une façon globalisante, interdisciplinaire, imaginale et invisuelle, un plan décalé de la réalité admise par la doxa, la pensée commune. Un art existant en dehors de l’art visuel. Adrian Piper proposait déjà à ce sujet en 1996 d’envisager le « méta-art » comme « nouvelle occupation » qui pourrait remplacer l’œuvre ». Il s’agirait donc davantage d’une succession, d’un « remplacement », une proposition qui permettrait de saisir une autre forme d’art que nous nommerons ici tra (l’anagramme miroir du mot art). Quelque chose qui pourrait s’inscrire à sa suite, au-delà de l’œuvre d’art ou de l’art visuel. Nous proposons un jeu « d’anagramme miroir » de méta-art qui serait tra-atèm qui permettrait d’accéder à un méta-art au-delà des acceptions qui lui ont été jusqu’ici conférées (par Jean Claude Moineau ou Adrian Piper, …). Ce reflet est comme existant dans un autre plan de réalité. Le tra-atèm est alors à entrevoir comme une continuation sur un autre plan de réalité, passant par une déconstruction conceptuelle.

Mentionner le rôle de l’alchimie comme allégorie symbolique qui m’a menée au « motif » de l’Œufre (Œuvre + œuf). Alchimie qui est déjà elle-même art et philosophie mêlés, opératif et spéculatif. Art spéculaire, ART / TRA. Clin d’œil à l’alchimie qui mêle opératif et spéculatif pour agir sur la matière.

Tout comme l’alchimie qui se trouve au carrefour de l’art, de la philosophie, de la matière et de la pensée. L’art philosophique et invisuel est transdisciplinaire, opératif et spéculatif. Est spéculatif ce qui est réflexif et théorique, est spéculaire ce qui est relatif au miroir et au reflet. Analyser en profondeur l’art spéculatif et spéculaire, le nouvel art. Le tra.

C’est pourquoi je nomme alors cet art, art philosophal ou philosophique, en proposant une trame de pensée philosophico-alchimique et méta-artistique.
Ma pratique invisuelle réside dans la recherche du socle philosophique, du tra-atèm.

Nous proposons un jeu « d’anagramme miroir » de méta-art qui serait tra-atèm qui permettrait d’accéder à un méta-art au-delà des acceptions qui lui ont été jusqu’ici conférées (Jean Claude Moineau, Adrian Piper, …). Ce reflet est comme existant dans un autre plan de réalité.

Il ne s’agit donc pas ici d’un art qui parle d’art, ni d’une interprétation de l’art, nous quittons également l’autoréférencement et le paralogisme de la mise en abyme de la réflexion de l’art sur lui-même et proposons à travers le radical « méta » une transcendance, une nouvelle réflexion, un nouveau processus instauratif révélé par le nouveau radical « atèm ».

L’association du préfixe « méta » et du terme « art » ayant déjà été employée sous différentes acceptions, nous proposerons ici d’envisager le « atèm » de l’art comme une alternative à l’art tel que nous le concevons habituellement. Adrian Piper proposait déjà à ce sujet en 1996 d’envisager le « méta-art comme « nouvelle occupation » qui pourrait remplacer l’œuvre »[1]. Il s’agirait donc davantage d’une succession, d’un « remplacement », une proposition qui permettrait de saisir une autre forme d’art que nous nommerons ici tra (l’anagramme miroir du mot art). Quelque chose qui pourrait s’inscrire à sa suite, au-delà de l’œuvre d’art ou de l’art visuel. Le tra-atèm est alors à entrevoir comme une continuation sur un autre plan de réalité, passant par une déconstruction conceptuelle. Un « monde » métaphysique et méta-artistique, c’est à dire au-delà de l’art, ne se situant ni avant ni après mais sur un plan différent et transcendant, qui accepterait de concevoir l’art d’une façon globalisante, interdisciplinaire, imaginale[2] et invisuelle[3], un plan décalé de la réalité admise par la doxa

Le tra-atèm accepterait de quitter la dimension visuelle, perceptive voire imaginaire de l’art pour découvrir d’autres formes, d’autres réalités tout aussi existantes mais voilées, « de l’autre côté du miroir ».

Leonardo Da Vinci écrivait ses carnets en écriture spéculaire, certains diront que c’était pour nourrir le secret, d’autres parce qu’il était gaucher, et si cela lui permettait d’accéder à ses idées et découvertes sous un angle différent ? S’il travaillait ainsi la plasticité de sa conception ?

Le tra-atèm peut se jouer de la méta-plasticité de notre cerveau (en réponse à la plastique et la plasticité traditionnelles de l’œuvre d’art) capable de déconstruire les concepts tels que nous les avons assimilés et de créer de nouveaux liens de pensée, de nouvelles connexions neuronales qui permettraient d’entrevoir de nouvelles propositions pour le tra. Avez-vous déjà essayé d’écrire de la main droite en étant gaucher et vice versa ? D’écrire de la droite vers la gauche sans maîtriser l’arabe ? De lire la page d’un ouvrage dans un miroir ? Le tra-atèm ferait le même effet à votre conception de l’art si vous pouviez l’entre apercevoir au détour d’une pensée. En saisir le souffle, si insaisissable soit-il, mais essentiel, vital.

Saisir relève du sens et de la forme, du contenant comme du contenu. Les mots sont des concepts aux acceptions vastes mais quantifiées et limitées. L’art, délimité par son champ lexical et sa terminologie n’évolue plus. Et si nous avions épuisé l’art et tout son lexique avec ou inversement ? Comment faire évoluer un concept si sa propre forme, jusqu’à celle des lettres qui le compose, ne se transforme pas elle-même ?

Bravons l’inconnu, l’incertain et l’inattendu et offrons à l’art la possibilité de trouver un nouveau souffle. Et acceptons qu’il soit lui-même aussi insaisissable qu’un souffle, spéculaire, spéculatif et imprévisible.

Un art spéculaire est le tra, si nous poursuivons nos jeux de mots, allons jusqu’à l’assimiler au spéculatif : spéculatif, comme réflexion (du miroir comme théorique et intellectuelle), une spéculation comme mise sur un art spéculaire et spéculatif (opposé à l’opératif)

Le tra-atèm est ce que nous nommerons un art spéculaire et spéculatif. Un art spéculaire, le tra

Art au-delà du sensible serait un art spéculatif en opposition à un art opératif. Il n’en serait pas moins art, il serait tra.

Retournement conceptuel : art techné opératif / tra spécula tif, de l’ordre littéralement de la réflexion. Tout comme en alchimie, opérative et spéculative.

Si à travers les arts vivants et visuels, l’art prend forme après la production de l’objet ou de l’évènement perceptif, une vision retournée, spéculaire, nous offre un accès au tra avant sa réalisation concrète. C’est alors que ce que nous nommons habituellement méta-art, est un retournement de cause et d’effets, les effets (le tra) précèdent les causes (l’artiste, la création). L’œuvre devient un symptôme. Et le tra brave la causalité.

Question du miroir, du retournement, du reflet comme réflexion.

Stade du miroir de l’art ? Le reflet comme possibilité d’accès aux profondeurs de l’inconscient. Une métaphysique de l’art qui analyserait, non pas son être mais son devenir dans son reflet, une spéculation déployée hors de l’espace et du temps.

Comme le rêve était considéré par les surréalistes comme tout aussi important que la vie vécue durant notre état de veille, le tra-atèm serait tout aussi prolifique que le méta-art. Aussi insaisissable qu’un souffle ou qu’un rêve mais bel et bien vécu, traversé…

Définition « Miroir » du Dictionnaire des symboles : « speculum » a donné le nom de spéculation: à l’origine, spéculer c’était observer le ciel et les étoiles, à l’aide d’un miroir. Sidus (étoile) a également donné considération, qui signifie étymologiquement regarder l’ensemble des étoiles. Ces deux mots abstraits, qui désignent aujourd’hui des opérations hautement intellectuelles, s’enracinent dans l’étude des astres reflétés dans des miroirs. De là vient que le miroir, en tant que surface réfléchissante, est le support d’un symbolisme extrêmement riche dans l’ordre de la connaissance. »[1]

Démarche psychologique du « Connais-toi toi-même » présent sur le fronton du Temple de la Pythie à Delphes. Cabinet de réflexion.


[1] CHEVALIER Jean et GHEERBRANT Alain, Dictionnaire des symboles, Bouquins, La collection, réédition 2021, p. 734


[1] BOUTET Danielle, L’idée de méta-art : Adrian Piper, 1973. Citant l’article « In support of Meta-Art », Out of order out of sight, MIT Press, 1996 par Adrian Piper.

[2] Terme emprunté à Henri CORBIN qui l’énonce pour la première fois en 1979 dans sa seconde édition de Corps spirituel et terre céleste, Pour une charte de l’Imaginal.

[3] L’art invisuel (terme proposé par Alexandre GURITA en 2004) est un genre d’artqui existe autrement que sous forme d’œuvre d’art, matérielle ou immatérielle. L’art invisuel opère un changement de paradigme dans l’art, en considérant que l’œuvre d’art n’est qu’un format parmi d’autres et non pas le seul.

[4] GABRIEL Markus, Le pouvoir de l’art, Flammarion, coll. Champs Arts, 2021.