Lorsque j’ai compris ce qu’était l’art invisuel, cela m’a semblé être une découverte majeure dans l’histoire de l’art et de l’humanité. Je parle volontairement de découverte car il s’agit enfin d’envisager l’art nettoyé des tous les apparats, fioritures, accidents au sens philosophique, c’est-à-dire tout ce qui peut ne pas être ; en opposition à l’essence, au principe, qui EST, je dirai même qui DEVIENT perpétuellement. L’art n’est pas un tableau, l’art n’est pas une composition musicale, l’art n’est pas une performance, il DEVIENT. Et l’art invisuel en se détachant des concepts d’œuvre et d’objet se rapproche, à mon sens, d’un principe pur de l’art en devenir, du moins il l’interroge, et part à sa rencontre en dehors des sentiers battus et rebattus des arts visuels ou des arts vivants.
J’ai alors entrepris d’explorer plus profondément et selon une méthodologie empruntée à la philosophie, le socle théorique de l’art invisuel. J’ai nommé cette recherche, qui est devenue ma pratique, l’Art Philosophique et Invisuel.
L’art invisuel est nommé depuis 20 ans, il se déploie via la multiplicité des formats et des pratiques à travers le monde. Je propose de faire de ma pratique une recherche de la nature profonde, au sens de principe philosophique de l’art (hors arts visuels ou toute forme déjà identifiée), et de reconstituer le socle philosophique sur lequel est érigé l’art invisuel dans son aspiration à atteindre un art plus vrai, non dévoyé par le monde de l’art visuel ou du spectacle vivant.
Je considère que l’art invisuel doit franchir un nouveau cap dans son assise et son expansion, il faut même considérer qu’il pourrait toucher de manière plus efficace un public hors institutions artistiques, et assurer ainsi sa diffusion et son évidence auprès de la population, de la doxa et de la société. Il s’agit désormais de comprendre que l’art invisuel s’insère dans l’ère noétique dans laquelle l’humanité est entrée depuis le début du XXIème siècle. Les ères modernes et contemporaines de la rationalité, du capitalisme et de l’objet s’achèvent, évoluant vers une ère de la pensée, de la connaissance, des systèmes complexes synergétiques et informationnels.
L’art invisuel une fois solidement vissé à son socle théorique, principiel et philosophique pourra devenir l’évidence qu’il doit être auprès de tout un chacun dans sa conception de l’art.
Je nomme cette nouvelle conception de l’art le « tra »[1] et j’explique dans le schéma suivant comment nous pouvons positionner les différentes natures des arts les unes par rapport aux autres.
[1] Tra : l’anagramme miroir du mot art. Art spéculaire et spéculatif, ART / TRA.
L’art est affecté par les arts visuels et le spectacle vivant, l’art invisuel tente d’extirper l’art de toutes ces formes pré digérées mais, même au sein des réflexions qui touchent l’art invisuel, l’abandon des concepts reste difficile, la production, la forme, la sensation, si immatérielles et évanescentes soient-elles, restent chevillées à la pratique artistique. L’incertitude et l’imprévisibilité qui sont constitutives de l’art invisuel, doivent devenir familières et non plus inquiétantes pour tout un chacun.
L’Art Philosophique et Invisuel est le moyen de sauver l’Art du monde de l’art, de trouver son principe pour lui donner toute sa puissance autonome et qu’il prenne sa place dans la Vie et dans la vie de chacun, pas seulement des artistes, ni dans la vie des agents du monde de l’art, de la culture et des milieux intellectuels et élitistes. Cet art inaccessible n’est pas l’Art. L’art auquel nous avons accès via les arts visuels et vivants est grimé, faussé, altéré par des codes institutionnels, marchands et esthétiques qui le dissimulent sans cesse à sa vraie nature et aux regards. Il s’agit alors de « faire les bordures de l’art », afin de contourner l’obstacle conceptuel et institutionnel que représente l’art visuel, pour pouvoir mieux occuper un espace qui reste plus facilement abordable pour l’art invisuel.
Si l’on considère que l’Art autonome et principiel que recherche l’Art Philosophique et Invisuel a pris les “commandes” de l’humanité dès les prémisses des premières productions préhistoriques (comme le suggère Markus Gabriel dans Le pouvoir de l’art), alors l’exploration et l’émancipation de la singularité de chaque individu pourrait être le lieu de dévoilement de cet Art principiel, avant tout passage à l’acte, avant le faire, dans le moment de l’être en perpétuel devenir.